Mathilde Besson, Juliette Monnyer, Floriane Michel
14 septembre-5 octobre 2019






Invitées par Cécile Bart et les Archives modernes à l’Atelier B, Mathilde Besson, Juliette Le Monnyer et Floriane Michel présentent aujourd’hui le résultat d’un travail collectif entamé il y a quelques mois. Elles ont toutes trois étudié à l’ERG (École de recherche graphique), à Bruxelles, et elles ont convenu de faire Salle commune à l’occasion d’une première semaine de résidence : un maillage a priori de l’exposition, destiné à faire dialoguer entre elles leurs nouvelles pièces. Salle commune, qui renvoie d’emblée à un faire, est aussi une expérience née de la rencontre de trois pratiques.
Le volume de l’Atelier B est éclairé par des verrières rythmant les murs et le toit ; ces ouvertures trouvent un écho singulier dans les travaux exposés. La fenêtre opère ici, au figuré, comme un laps de temps dans lequel une chose est rendue possible, l’occasion de se soustraire au temps du travail personnel quotidien, la parenthèse d’un projet collectif. L’exposition comporte trois volets, trois séquences d’ouverture sur trois pratiques différentes. Lorsqu’on entre dans l’atelier, on passe par un portail métallique à deux battants qui, fermé, fait office de quatrième mur. On pénètre alors sur la scène investie par les artistes, celle-là même qui fut quelques semaines plus tôt le lieu de leur répétition. Trois cimaises se déploient en une séquence chorégraphiée de gestes particuliers : vidéo, photographies et sculptures textiles échangent entre elles et se mettent au travail de conserve.
On reconnaît une souplesse, une fragilité et des gestes qui s’assemblent, dans les pièces textiles de Mathilde Besson. Disposées sur une bâche étalée sur le sol de béton, ces pièces ou sculptures se voient augmentées par l’arrangement qui les réunit en un seul corpus. Le support délimite et protège ces fragments fragiles, volontairement peu spectaculaires, en un geste hérité de leur déballage initial, un geste qui rappelle le processus même de l’installation de l’artiste dans ces lieux. À cet îlot répond la suspension d’un grand tissage vertical dont le rythme des teintes et les mailles ajourées accompagnent les alternances des baies translucides de la toiture.
Les fibres bleues des cyanotypes de Floriane Michel, tendus sur châssis, poursuivent la transition vers l’image et font écho aux tissages précédents. Les cyanotypes nuancent la monochromie et dépassent le champ coloré, car ils sont avant tout l’indice d’une exposition à la lumière. L’empreinte lumineuse qui démarre le processus chimique enclenche par là-même de futures altérations et variations de teinte. Quant à la photographie tirée sur papier, elle entend répondre aux mailles et trames avoisinantes, mais ici les mailles voilent et dévoilent un corps qui, en retour, donne forme et incarnation au textile ; l’image a cette fois un rôle d’index pointant vers le réel.
Juliette Le Monnyer expose pour sa part une vidéo (filmée en décembre 2018, à Ramallah, en Palestine) qui a la forme d’un long plan séquence de dix minutes. Les cadrages successifs de la caméra rappellent le mouvement dit « panoramique » au cinéma (si on accorde à la caméra la possibilité d’un aller-et-retour). Le spectateur fait l’expérience d’un théâtre où les acteurs se dérobent sans cesse : des groupes d’hommes et d’enfants semblent presque à l’arrêt face à ce qui se déroule tout d’abord hors-champ ; dans cet emmêlement de rues, d’immeubles et de terrains vagues, des hommes prennent position. Repères rend compte des mécanismes de l’occupation du territoire palestinien en une scène qui se déploie, et se clôt sur elle-même.
En franchissant ce quatrième mur, on entre sur la scène d’une expérience vécue – deux semaines de Salle commune – condition même d’élaboration de l’exposition que l’on visite. On entre dans un espace où la domesticité du travail artistique se transpose en un régime de construction, de pensée et d’agencements collectifs. Désormais ouverte, exposée, ajourée, l’architecture accueille le regard, elle « en appelle au public » écrit Hubert Damisch. Elle donne à voir ce qui s’est joué, comme à rebours, dans la rencontre des différents travaux et leur confrontation à différents régimes temporels. La pièce verticale de Mathilde Besson dévoile les entre-temps du tissage, en opposition avec l’apparente continuité de sa fabrication, tandis que sa collection au sol renvoie au temps cumulatif de l’atelier. Les cyanotypes de Floriane Michel découvrent une temporalité au long cours, dont l’origine est l’exposition première à la lumière – coup de départ de ses subséquentes altérations différées de séchage et de réponse du textile, jusqu’à ce que les toiles soient tendues sur un châssis. Le plan séquence de Juliette Le Monnyer associe le continuum du temps réel, capté et cadré, à la multiplicité de fragments spatiaux qui détaillent, ici et maintenant, la fabrication de la scène qui s’est jouée sous ses yeux.
Maxime Gourdon
